Aladin Borioli
Les abeilles, et plus particulièrement leur habitat, la ruche, occupent le photographe Aladin Borioli depuis quelques années. Ses recherches d’abord visuelles autour des connections entre l’architecture humaine et non-humaine l’ont peu à peu amené à adopter des méthodes d’enquête des sciences humaines, au point de compléter son BA de photographie avec un MA en anthropologie visuelle à la Freie Universität de Berlin.
Avec un premier volume, un petit livre jaune, Borioli présente une archive visuelle qui revient sur les liens intimes entre l’humain et son environnement: «Depuis que l’homme a ‘domestiqué’ l’abeille, il y a environ 5000 ans, il n’a cessé de lui construire des structures s’inspirant de ses ar- chitectures et de l’habitat naturel des abeilles. Cependant en étudiant ces deux histoires séparément on ne sait plus quelles structures ont inspiré les autres et vise versa (Ramirez, 1999). Ce petit atlas visuel propose un voyage dans l’histoire de l’architecture dédié au non-humain, à travers plus de 400 images d’archives.»
Avec ses méthodes à la frontière de la photographie, Aladin Borioli a déjà obtenu de nombreuses reconnaissances, dont le Swiss Design Awards 2015 et le Vfg nachwuchsförderpreis 2014. Son travail a été présenté à FotoPub, Novo Mesto, Slovénie, 2015, à l’UNO ART SPACE – Swiss young talent, Stuttgart, 2015 et à Circulation(s), festival photographique, Paris, 2015.
Pourrais-tu décrire une approche ou une méthodologie qui te distingue, ou que tu suis dans ton travail?
J’emprunte majoritairement des méthodes à l’anthropologie et à ses diverses écoles de pensées – par exemple l’approche phénoménologique. Ensuite, je mêle à ces méthodes une pratique artistique personnelle qui mélange par exemple: la récolte d’image d’archive, la pratique de la photographie et plus récemment l’enregistrement sonore en collaboration avec un ami et artiste: Laurent Güdel. Je commence toujours mes projets par un travail éthnographique qui prend la forme de longues recherches théoriques et un travail de terrain durant lequel je cherche à développer des échanges, et je dirais surtout des collaborations avec différents acteurs.
Est-ce que des innovations technologiques récentes ont influencé ton travail?
Oui, évidemment, je dirais comme tout le monde de près ou de loin l’est. Récemment, plus le sujet de mes recherches que mon travail en lui-même. En effet, depuis environ 10 ans, la technologie a fait lentement irruption dans le petit monde de l’apiculture par ce qu’on pourrait appeler vulgairement les ruches connectées. C’est simplement l’idée de mettre des capteurs de tout type dans une ruche, par exemple une balance pour le poids, des capteurs de température, d’humidité, des microphones. Cela permet à l’apiculteur de suivre ce qui se passe à l’intérieur de la ruche, et ainsi de mieux comprendre ses colonies.
En ce qui concerne, plus précisément, le travail présenté pour cette édition 2018, ce n’est pas forcément évident. Je présente un travail plutôt «classique», qui découle d’une récolte d’images d’archives pour la majorité d’entre elles trouvées dans les bibliothèques de divers musées.
Cependant, je pense que les internet peuvent apporter beaucoup de liberté et d’émancipation aux designers. En effet, les internet rendent accessibles à une grande majorité d’artistes des outils qui peuvent potentiellement permettre à chacun de se promouvoir par lui-même, de devenir son propre «producteur», et ainsi de sortir du schéma classique de l’intermédiaire. C’est peut-être cette facette des nouvelles technologies qui questionne et influence le plus mon travail en ce moment.
Peux-tu décrire succintement ton environnement de travail ? Comment cet environnement influence-t-il directement ton travail?
Aujourd’hui, je ne suis pas vraiment fixé à un endroit précis, ainsi mon environnement change beaucoup. Entre les salles de la Freie Universität à Berlin pour mon master en anthropologie visuelle, une éthnographie que je conduis dans un village marocain, et ma chambre où je travaille le reste du temps à Neuchâtel, c’est très varié. Peut-être que ces déplacements m’obligent à être plus précis sur l’élaboration de mes projets, sachant que je ne peux pas tout prendre avec moi à chaque fois. Je ne sais pas exactement, mais ce qui est certain c’est que l’environnement dans lequel je travaille a toujours eu beaucoup d’influence sur mes projets. Par exemple, je ne peux pas écrire ou réfléchir dans certains endroits, et inversèment certains lieux me semblent moins propices à la production.
Peux-tu décrire ce qui t’a inspiré récemment?
Je suis principalement inspiré par d’autres milieux que celui du design, comme l’anthropologie et la plupart des sciences humaines. Récemment, j’ai passé beaucoup de temps à m’imprégner des recherches de Donna Haraway ou Vinciane Despret, respectivement philosophe et éthologue.
Quels designers sont importants pour toi aujourd’hui?
J’ai du mal à citer un designer en particulier. Il me semble que ce qui devient crucial, aujourd’hui, ce sont les collaborations entre les différents milieux. Qu’elles soient du fait d’une seule personne ou de plusieurs comme la photographie et l’anthropologie dans le travail de l’anthropologue Mark Curran. En effet, le design joue un rôle de plus en plus important dans la propagande néo-libérale, et ce rôle le dépasse. Pour cela, à mon avis, on a besoin de collaborer, avec, ou d’explorer d’autres milieux – comme les sciences humaines – qui nous permettent de mieux comprendre les enjeux en place et l’influence du design dans tout cela.